Jean Ndoumbe Oumar (1911-1963)L’une des premières curiosités de la ville de Ngaoundéré pour un néophyte est le nom du stade municipal, baptisé «Stade Ndoumbe Oumar », un mélange atypique de noms qui évoquent à la fois la plaine côtière au sud et le septentrion islamisé au nord. C’est alors que l’on apprend à découvrir cet homme qui a profondément marqué la vie sociale et politique de sa localité dans un contexte marqué par le démantèlement de l’appareil administratif colonial et l’émergence des acteurs autochtones.

Un fils du Cameroun d’origine mbum

Né vers 1911, Jean Ndoumbe est le fils d’un ancien soldat de l’armée allemande. Les sources sont contradictoires sur son lieu de naissance. On le dit tantôt né à Bamenda, tantôt à Fernando Pô, sinon à Douala. Tout aussi contradictoires sont les histoires sur l’origine de son nom. Son père aurait été un fervent admirateur du Prince Ndoumbe Douala Manga Bell selon certains. Il aurait eu un ami nommé Ndoumbe selon d’autres. La seule certitude est que Jean Ndoumbe est né loin de son Adamaoua d’origine, et que son nom est la preuve de la vision cosmopolite de son père, qui résidera d’ailleurs à Douala jusqu’à sa mort.

Jean et son frère Haman rentrent donc Ngaoundéré et sont inscrits à l’école de Tizon d’où Jean sortira avec un CEPE avant de rejoindre l’administration coloniale en 1933 en qualité d’interprète. Affecté à Ngaoundéré en 1941, il se met à y gravir les échelons sous le regard bienveillant des administrateurs qui louent unanimement son caractère et son intelligence. Ce qui lui vaudra une désignation comme maire de la commune urbaine de Ngaoundéré en 1958. Il devient ainsi le tout premier maire autochtone à la tête d’une mairie, en même temps que André Fouda à Yaoundé. Un scandale dans la ville.

Comprendre l’émoi

Pour comprendre la stupeur provoquée par cette nomination, il faut partir de la configuration des forces en présence dans le milieu.

Les mbum, peuple dont est originaire Jean Ndoumbe, sont les autochtones de la ville de Ngaoundéré, d’où ils seront subjugués par l’expansion peule de Ardo Issa, lui-même lieutenant du Modibo Adama de l’empire Sokoto. L’installation des peules, militaire au début, se combine à des tactiques diplomatiques au bout desquelles les peuples et les hommes se sont vu attribuer divers statuts selon leurs aptitudes, ou selon leurs religions. Les bouleversements introduits par cette conquête ont cependant créé des inimitiés latentes dans la mesure où les peuls se sont positionnés comme les suzerains des peuples locaux. Dont les mbum.

La nomination de Jean Ndoumbe est donc diversement appréhendée. Humiliation pour les peuls, revanche pour les mbum. Surtout que Ndoumbe n’est pas homme de consensus quand une idée lui semble juste.

Un homme de caractère

La seule concession que Ndoube aura fait aux peuls aura été de prendre plusieurs épouses et de s’islamiser. D’où l’ajout de Oumar à son nom de naissance. Pour le reste, Jean Ndoumbe Oumar avait une vision de la ville très tranchée et n’avait pas l’intention de céder d’un pouce au conservatisme, qu'il vienne de l'administration coloniale ou de la chefferie peule. Le contexte lui est d’ailleurs favorable. À la faveur de l’indigénisation des cadres, un certains Nana Djafarou est élu député pour le compte du département de l’Adamaoua. De Yaoundé, il obtient que soient détruite la célèbre prison du lamidat, où finissaient tous ceux qui étaient coupables d’atteinte aux bonnes mœurs. Ivrognes, prostituées et blasphémateurs y étaient incarcérés dans des conditions abominables que décriaient déjà les missionnaires norvégiens dès les années 1930 au moins. Le Préfet valida et il revint au nouveau maire de faire exécuter la décision. Conforté, Ndoumbe Oumar se livre à un vaste chantier de modernisation de la ville.

La ville manque d’eau, d’électricité, d’écoles, de bâtiments dignes d’un centre urbain. Ndoumbe Oumar se met au travail. Il emprunte de l’argent, fait couler de l’eau et briller des lumières. Il organise un plan d’urbanisation qui impose aux quartiers conservateurs l’école conventionnelle. Et pour l’exemple, il construit pour lui-même le premier bâtiment à étage de la région.

Les riverains musulmans ne décolèrent pas. Ndoumbe Oumar est soupçonné de vouloir attenter à la pudeur des épouses de ses voisins dont le laamido en personne. On le dit lubrique. Avec son ami Djafarou, il aurait des relations coupables avec des filles de joie. L’une d’entre elles serait une favorite du laamido en personne. Personne ne peut le prouver. Mais les signes ne trompent pas. Ndoumbe Oumar et son ami Djafarou multiplient les gestes provocateurs contre le chef des peuls et des musulmans. On verra par exemple Ndoumbe Oumar chaussé et casqué devant le laamido au cours d’une cérémonie publique. Violation de l’étiquette. L’affaire se porte sur le plan administratif. Le laamido fini par plier. Ahidjo a pris parti contre le laamido qui l’avait éconduit quelques années auparavant, quand jeune politicien, il cherchait des soutiens pour être élu député. Le laamido Baba Djeilani est destitué et exilé. Ndoumbe Oumar a les coudées franches. Mais pas pour longtemps.

Une fin subite

L’homme qui défiait le laamido tombe malade. Et le 11 mai 1963, il s’teint aussi calmement que sa vie avait été mouvementée. En 1997 le stade municipal est baptisé en son honneur. A posteriori, il fera l’unanimité. Il fut un grand bâtisseur et un homme de vision.


Source: Bé Wan M'gbalonga via Dir news

Voir aussi:  Jean Ndoumbe Oumar A la découverte du tout premier maire camerounais du Grand Nord